top of page

Les états limites, nouveau paradigme pour la psychanalyse?

Jacques-André, Catherine Chabert, Jean-Luc Donnet, Pierre Fédida, André Green, Daniel Widlöcher sont les auteurs de ce livre qui reproduit les interventions lors d'un séminaire organisé à Sainte-Anne par Jacques André de 1996 à 1997.


Les auteurs décrivent les états-limites comme une organisation psychique spécifique, ni simple « demi-névrose », ni psychose cachée. C’est une façon d’être, marquée par une fragilité du moi et une intense sensibilité aux relations. Ces patients gardent le contact avec la réalité mais vivent des tempêtes internes : peur d’abandon, sentiment de vide, alternance entre idéalisation et rejet des autres.


Le "fonctionnement" des états limites (C.Chabert) a différentes caractéristiques reconnues par les auteurs.


  • Clivage plutôt que refoulement : les affects sont séparés en « tout bon / tout mauvais » plutôt qu’intégrés.

  • Réponse par l’acte : impulsivité, automutilation, addictions, passages à l’acte parfois violents. L’action prend le pas sur la pensée ou le fantasme.

  • Primat du pré-génital : la vie pulsionnelle reste centrée sur les premiers stades du développement.

  • Tonalité dépressive diffuse : une « dépression atmosphérique » (A.Green), un manque de tonus vital plus qu’un épisode mélancolique net.


  • Corps en première ligne : douleurs, eczéma, troubles digestifs, fatigue chronique… le corps devient langage lorsque la pensée ne parvient plus à symboliser.


Chacun des auteurs ajoute des particularités théoriques.


André Green : le « négatif »


Green met au centre le travail du négatif : des zones d’absence, de vide intérieur, qui attaquent la capacité de penser. Le patient peut « attaquer la pensée » : fuir dans l’addiction, le sommeil, l’anorexie ou la boulimie, comme pour anesthésier une angoisse insupportable. Deux angoisses dominent :

  • Angoisse de séparation : peur d’un effondrement si l’objet (l’autre) s’éloigne.

  • Angoisse d’intrusion : crainte d’être envahi si l’objet s’approche trop. Cette double tension rend le moi « poreux » : la personne se vit comme une « éponge » hyper-sensible.


Catherine Chabert : le "fonctionnement" état limite et la difficile accession à l’ambivalence


Pour Chabert, la difficulté centrale est d’accéder à l’ambivalence. La position dépressive – au sens kleinien – suppose de pouvoir reconnaître un objet total, à la fois bon et mauvais, et de supporter la coexistence de l’amour et de la haine. Chez les états-limites, cette position reste précaire :

  • le clivage domine les investissements d’objet (proche de la position schizo-paranoïde),

  • la haine occupe une place de premier plan, plus « ancienne » que l’amour : elle vient des pulsions d’auto-conservation, avant même l’opposition classique entre pulsions de vie et de mort. Au niveau manifeste (conscient), l’objet est souvent rejeté, malmené, disqualifié ; mais, au niveau latent (inconscient), cette négativité protège le narcissisme face à la crainte d’abandon. La projection de la haine sur l’autre permet de soulager le sujet de tensions pulsionnelles trop pénibles et de consolider les frontières dedans/dehors – enjeu crucial de la pathologie des limites. Chabert note aussi une organisation masochiste : la souffrance peut devenir un mode de lien et un moyen de préserver l’objet, même agressé.


Le transfert peut être passionnel, avec des ruptures de séance, des silences agressifs, une difficulté à maintenir un rythme.


Jean-Luc Donnet & Daniel Widlöcher : adapter la technique

Ils insistent sur la nécessité d’aménager la cure des états limites : moins d’interprétation classique, plus de soutien du moi, travail sur la relation interpersonnelle. L’analyste doit parfois « expliquer » plutôt qu’interpréter, pour aider le patient à renforcer ses fonctions de pensée.


Pierre Fédida : le corps comme scène de la souffrance

Fédida met l’accent sur le rôle du corps : quand la pensée ne peut tout élaborer, la tension psychique se décharge dans le soma (douleurs, troubles fonctionnels). Le corps devient organe du langage lorsque la parole échoue.


Jacques-André : les mouvements de transfert

Il décrit des transferts passionnels, abrupts, parfois violents. L’analyste doit accueillir ces mouvements intenses sans se laisser envahir, et maintenir un cadre contenant malgré les ruptures de séance, silences agressifs ou attaques du cadre (remise en cause des horaires, de la durée des séances…).


Différence de la clinique des états limites avec le psychosomatique de l’école de Paris


Chez les patients psychosomatiques (Marty, Fain, de M’Uzan), on observe une pauvreté du monde intérieur : pensée « opératoire », peu de rêve, peu d’affect exprimé. Chez les états-limites, c’est l’inverse : affect débordant, angoisse massive, mais difficulté à symboliser ; d’où l’explosion d’actes et de symptômes multiples.


Conséquences techniques


Le silence interprétatif strict peut être vécu comme un « désert objectal ». La cure requiert un cadre ferme mais souple, et souvent une attitude plus parlante, soutenante. L’objectif premier est de renforcer le moi – contenir, relier, mettre en mots – avant d’explorer l’inconscient refoulé.


Un débat théorique toujours ouvert


Les auteurs de ce volume voient dans les états-limites une organisation spécifique. D’autres psychanalystes, dont certains enseignants comme Hervé Madet, mon formateur à l'EFPP, préfèrent les rattacher à une forme de névrose (parfois dite « narcissique ») en soulignant que le lien à la réalité n’est jamais rompu. La question – « troisième structure » ou « névrose particulière » – reste un désaccord théorique classique en psychanalyse. Pour Hervé Madet, l'état limite est une personne qui a perdu ses illusions. Souvent fort intelligente et de milieux aisé, de type occidentale. Il n'y aurait pas de personnes état limites dans les pays pauvres. Ce patient a perdu tout espoir en l'humanité. Il est malade de lucidité. Souvent suicidaire.


En bref


Les états limites se caractérisent par un moi poreux, une crainte d’abandon, une haine primitive difficile à relier à l’amour, et une tendance à décharger l’angoisse dans l’acte ou le corps. La psychanalyse invite à leur offrir un cadre à la fois solide et vivant, où la pensée pourra peu à peu se rétablir


Homme tourmenté, femme derrière lui, sous la lune dans la nuit
Homme tourmenté, femme derrière lui, sous la lune dans la nuit


Posts récents

Voir tout
Le Moi-peau

Le Moi-peau, Didier Anzieu La peau est équivoque, comme l’inconscient : perméable et imperméable, superficielle et profonde, véridique et...

 
 
 

Commentaires


bottom of page