Personnalité normale, personnalité pathologique : quelques repères à partir de Jean Bergeret
- Popi Oreo
- 8 mai
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 mai
Jean Bergeret, psychiatre et psychanalyste, est l’auteur d’un ouvrage devenu un classique : La personnalité normale et pathologique. Publié pour la première fois en 1974, ce livre reste une référence incontournable pour penser la clinique au-delà des simples diagnostics. Son approche est structurale, mais vivante : il ne s’agit pas de coller des étiquettes sur des patients, mais de comprendre les grands équilibres psychiques qui structurent une personnalité.
Une autre manière de penser la “normalité”
Pour Bergeret, il n’y a pas une frontière nette entre “normal” et “pathologique”. Il y a des fonctionnements psychiques différents, plus ou moins souples, plus ou moins défensifs, plus ou moins douloureux. La personnalité normale n’est pas une absence de conflit ou de souffrance : c’est une capacité à maintenir un équilibre interne, malgré les tensions de la vie psychique.
Les trois grandes structures de personnalité
L’un des apports majeurs de Bergeret, c’est la clarification des trois grandes structures de la personnalité :
Psychotique
Borderline (ou limite)
Névrotique
Ces structures ne sont pas des “étiquettes” au sens DSM du terme, mais des manières d’organiser la vie psychique.
1. La structure psychotique
La personne psychotique n’est pas nécessairement délirante. Ce qui la caractérise, c’est un rapport instable à la réalité, une angoisse massive de morcellement ou de persécution, et des défenses très archaïques (clivage, déni, projection). Les thérapies dans ce registre nécessitent un cadre très sécurisant, un ancrage très fort, et une grande prudence interprétative.
2. La structure limite (ou état-limite)
C’est la zone floue entre psychose et névrose, souvent marquée par une instabilité émotionnelle, une angoisse d’abandon, et une alternance entre dépendance et rejet. Les défenses sont plus évoluées que dans la psychose, mais encore très massives : clivage, déni, projection, idéalisation, dévalorisation. La thérapie ici implique une attention constante à la relation transférentielle, un soutien solide, et souvent un engagement dans la durée.
3. La structure névrotique
La personne névrotique est aux prises avec le conflit psychique, mais elle reconnaît ce conflit comme interne. Les symptômes expriment une tension entre désirs, interdits et idéaux. Ce sont souvent des patients très demandeurs d’analyse, mais aussi très résistants. La thérapie, ici, peut être longue, mais elle s’appuie sur des capacités de symbolisation déjà installées.
Pourquoi cela concerne aussi la durée d’une thérapie
Dans un monde où l’on voudrait “aller mieux vite”, ces repères structurels nous rappellent que le psychisme ne se transforme pas au même rythme pour tout le monde. Un patient en position limite ne s’engage pas dans le soin comme un patient névrotique. Un travail analytique profond peut prendre du temps, mais il s’adapte toujours à la réalité psychique de la personne.
Et parfois, quelques séances suffisent, non pas parce que tout est résolu, mais parce qu’un espace s’est ouvert.
Mon regard de thérapeute
En tant que psychothérapeute, je trouve ce livre précieux non pas pour “classer” les patients, mais pour garder une boussole intérieure. Il m’aide à écouter autrement, à respecter les rythmes, à ne pas projeter d’attente trop rapide ou trop longue sur les personnes que j’accompagne.
Bergeret n’idéalise pas la structure névrotique, il ne stigmatise pas la psychose : il pense les défenses, les enjeux, la souffrance… et l’équilibre.
Et c’est, je crois, ce que nous cherchons en thérapie : retrouver un équilibre psychique vivable, quel que soit le point de départ.
À retenir…
Jean Bergeret nous apprend que la normalité ne se définit pas par l’absence de pathologie, mais par un équilibre psychique adapté à la structure de chacun. Une personne à structure psychotique peut être “normale” si elle fonctionne de manière stable, adaptée, sans effondrement.
Cette idée rejoint une définition transversale, partagée dans plusieurs courants, et enseignée notamment à la faculté de médecine de Marseille :
“Un individu normal est une personne qui fonctionne de manière optimale par rapport à ses capacités propres, et ceci, sans entraîner de souffrance pour elle-même ou pour autrui.”— Rodolphe Oppenheimer
C’est dans cette logique que peut s’inscrire une thérapie : non pas pour “corriger” ou “normaliser”, mais pour accompagner une personne vers un fonctionnement plus vivable, plus juste, plus soutenable.

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